La Croisière jaune : sur les pas de Marco Polo
10 décembre 2021
Retrouvez un nouvel épisode de notre série consacrée aux expéditions extraordinaires. Aujourd'hui, nous vous racontons l'histoire de la Croisière jaune, une traversée de l'Asie centrale organisée par André Citroën au début des années 1930. Un récit tiré du livre "La Croisière jaune : La grande expédition Citroën 1931-1932", d'Ariane Audouin-Dubreuil (Glénat, 2019).
Une mission scientifique et artistique à travers l'Asie
En 1931, après deux expéditions automobiles réalisées en Afrique au cœur des années 1920, André Citroën décide d’en mettre sur pied une troisième : la Croisière jaune. Elle doit permettre à ses autochenilles – des véhicules censés pouvoir franchir n’importe quel obstacle – de faire un voyage à travers l’Asie, entre Beyrouth et Pékin.
Le voyage nécessite trois ans de préparation. Un gros travail diplomatique est notamment effectué, pour permettre aux aventuriers de passer d’un pays à un autre sans problème. La mission a plusieurs objectifs : un but scientifique tout d’abord. Ce sera également une expédition artistique, puisqu’elle sera notamment filmée. Et puis bien sûr, l’aventure doit permettre à la marque Citroën de rayonner, grâce à ses autochenilles, qui doivent pouvoir faire le trajet à travers l’Asie centrale.
Pour limiter les risques d’échec, deux groupes sont formés. Le premier, le groupe Pamir, dirigé par Georges-Marie Haardt, part de Beyrouth le 4 avril 1931. C’est lui qui a la responsabilité de parcourir l’intégralité de l’expédition. Le second, le groupe Chine, avec à sa tête Victor Point, part de Tientsin le 6 avril. Son objectif est de traverser l’Empire du Milieu, d’est en ouest. Il doit rejoindre le groupe Pamir à Kachgar, une ville située dans la région autonome ouïghour du Xinjiang, et ainsi permettre d’ouvrir la route à la bande menée par Haardt, qui pourra également récupérer du matériel et des autochenilles après son passage à travers l’Himalaya. En tout, une quarantaine d’hommes et quatorze chenilles prennent le départ de la Croisière jaune.
Une première partie de voyage calme pour le groupe Pamir, beaucoup moins pour le groupe Chine
Pour le groupe Pamir, la première partie du voyage se passe plutôt bien. Il traverse le Liban, la Syrie, l’Irak, la Perse (l’actuel Iran) et atteint l’Afghanistan et sa capitale Kaboul le 9 juin. Mais Haardt est inquiet. Les nouvelles du groupe Chine sont rares. Ce n’est qu’à Téhéran que le groupe Pamir reçoit pour la première fois des informations concernant Victor Point, qui a été bloqué longtemps à 40 km de Pékin, accumulant ainsi du retard. Haardt ne sait pas que le groupe Chine rencontre les pires difficultés à traverser le pays.
De son côté en effet, Point et ses hommes subissent tout d’abord des problèmes techniques dès le début de la mission, les obligeant à stopper leur progression en attendant la réception de nouvelles pièces envoyées par André Citroën. Le 27 mai, le groupe Chine entame la traversée du désert de Gobi. Début juin, la météo contraint les aventuriers à un nouvel arrêt en raison d’une violente tempête de sable. Ils arrivent finalement tant bien que mal à atteindre le Xinjiang, où les hommes assistent à de terribles combats entre Chinois et Musulmans. Le groupe est même retenu prisonnier dans cette zone de conflit par le général King, un seigneur de guerre chinois, avant de pouvoir reprendre la route après d’intenses négociations.
L'assaut de l'Himalaya
On retrouve à présent le groupe Pamir en pleine traversée des Indes britanniques et de la vallée du Cachemire. Haardt et ses hommes arrivent au pied de l’Himalaya, le 24 juin. La traversée des massifs montagneux s’annonce extrêmement éprouvante. Seulement deux chenilles tenteront l’ascension des cols. Il ne faut pas perdre de temps : les montagnes ne peuvent être vaincues que pendant l’été. L’assaut de l’Himalaya débute au cours du mois de juillet. Plus les véhicules avancent et plus les obstacles sont difficiles à surmonter. Les éboulements rendent les routes difficilement praticables. Des travaux doivent être réalisés pour permettre le passage des autochenilles. Des ponts fragiles sont franchis, des rochers sont déplacés et, arrivés à plus de 4.000 m d’altitude, au niveau du col de Burzil, les chevaux s’enfoncent jusqu’au poitrail dans une couche de neige épaisse de quatre à cinq mètres.
Une fois passé le col, la neige laisse place à l’aridité. Mais la progression reste difficile. Au moment du passage d’une autochenille, un glissement de terrain se produit. Le véhicule se stoppe au-dessus du vide. Cinq heures d’effort sont nécessaires pour remettre les roues de la voiture sur la terre ferme.
La réunion des deux groupes avant la traversée de la Chine
Le 25 juillet, Haardt se retrouve confronté à un nouveau problème : la route a disparu, ne permettant pas le passage des Citroën. Elles sont donc démontées, converties en charges de 30 kg et acheminées à dos d’homme sous un soleil de plomb. Après le passage de ce dernier obstacle et la reconstruction des autochenilles, Haardt, qui a appris quelques jours plus tôt que le groupe Chine était retenu prisonnier par le général King, part, début août, à cheval en compagnie de cinq de ses hommes secourir les membres de l’expédition menés par Victor Point. Finalement, au cours du mois d’octobre 1931, pendant sa traversée de la région ouïghour, Haardt retrouve le groupe Chine libéré des griffes de King, ainsi que quatre autochenilles. Néanmoins, le général tarde à donner son autorisation pour la traversée du Xinjiang et, en attendant, l’expédition est bloquée. Plusieurs semaines de négociations sont nécessaires pour obtenir les passeports tant espérés pour parcourir la Chine d’ouest en est. Quand Haardt reprend son chemin vers Pékin, l’hiver s’est installé. La traversée des plaines de Mongolie et du désert de Gobi se fait par des températures glaciales, le thermomètre affichant par endroit -30 °C. La mécanique et les corps souffrent. Georges-Marie Haardt tombe malade mais lui et ses hommes finissent par atteindre Pékin le 12 février 1932. Près de 12.000 km ont été parcourus par les membres de la Croisière jaune lorsqu’ils franchissent les portes de la Cité interdite, après un voyage de plus de dix mois.
C’était la dernière expédition de Haardt. L’hiver chinois a eu raison de sa santé fragile. Il s’éteint quelques semaines plus tard, le 16 mars 1932.
La Croisière jaune se poursuivra à travers l’Indochine notamment, avant de rentrer en France le 29 avril 1932.
Récit : Antoine Aupart / Réalisation : Nicolas Vernizeau