Jean-Louis Etienne : cap au Nord
18 septembre 2022
© jeanlouisetienne.com
Nouveau numéro de notre série consacrée aux expéditions extraordinaires ! Autoroute INFO vous emmène sur les pas du premier homme à avoir atteint le pôle Nord en solitaire.
Première tentative et premier échec
Nous vous emmenons aujourd’hui sur les pas d’un grand explorateur français : Jean-Louis Etienne. Ce récit est tiré de l’un de ses livres : Persévérer (éditions Paulsen).
Jean-Louis Etienne est médecin mais aussi amoureux de la nature et des grands espaces. Dans les années 1970, il décide donc d’arrêter la chirurgie pour devenir médecin d’expédition. C’est pendant l’une de ses aventures, sur l’Everest, en 1983, qu’il se décide à tenter d’atteindre le pôle Nord géographique en solitaire.
En mars 1985, Jean-Louis Etienne décolle de l’Arctique canadien pour atterrir sur les côtes de l’océan Glacial. Pour transporter tout son matériel, l’explorateur est équipé d’un traineau d’une centaine de kilos qu’il attache à sa taille. Skis aux pieds, il part en direction du pôle Nord.
Quelques précisions concernant l’océan Arctique s’imposent. Contrairement au pôle Sud, qui se trouve sur un continent – l’Antarctique – le pôle Nord est, quant à lui, situé au beau milieu d’un océan. Pour l’atteindre à pied, il faut progresser sur la banquise : d’énormes blocs de glace flottants. Le problème, c’est que la banquise dérive à cause des courants et des vents. Si cette dérive est contre nous, elle peut nous ramener en arrière, ralentissant notre progression.
Au bout de dix jours de marche, sous des températures aux alentours de -47 °C, Jean-Louis Etienne est épuisé. Sa progression est lente, à peine plus rapide que la dérive de la banquise, qui est contre lui. Les nuits sont éprouvantes, la fatigue se fait de plus en plus sentir et après une chute dans une crevasse, Jean-Louis Etienne abandonne. Après quinze jours d’efforts, un avion vient le récupérer. Mais il se promet de ne pas rester sur un échec.
Une seconde tentative toujours aussi éprouvante
C’est le 7 mars 1986 que nous retrouvons un Jean-Louis Etienne mieux préparé, qui prend le départ d’une nouvelle expédition en direction du pôle Nord. Il est équipé d’un matériel plus adapté : le poids de son traineau a notamment été considérablement réduit, ce qui lui permet de progresser sur la banquise beaucoup plus facilement.
Mais dès les premiers jours, l’aventurier constate que les nuits sont toujours aussi éprouvantes. Pendant l’une d’entre elles – la deuxième – le thermomètre affiche -52 °C ! Son sac de couchage est moins performant qu’espéré. Dans ces conditions, avec des journées de marche harassantes et des nuits peu réparatrices, Jean-Louis Etienne se dit qu’il devra bientôt abandonner une nouvelle fois.
Une autre nuit, l’explorateur est réveillé par une sensation d’oppression. En réalité, il est en train de s’asphyxier ! En effet, un bouchon de glace s’est formé sur le trou de respiration de son duvet. La fermeture, complètement gelée, ne descend plus ! Jean-Louis Etienne, emprisonné dans son sac de couchage, sort son briquet qu’il avait gardé sur lui, mais lui aussi étouffe et est inutilisable. C’est finalement grâce à la chaleur de ses doigts, qu’il parvient à faire fondre un peu de glace et ainsi faire entrer de l’air frais.
Tous les jours, la routine est la même : marcher pendant huit heures, vers 16 heures, trouver un endroit pour monter la tente et à 19 heures, appeler le camp de base pour connaitre sa position (on est en 1986, le GPS portable n’existe pas). L’objectif est d’atteindre le pôle Nord avant le 15 mai. Passé cette date, il sera trop dangereux pour un avion de se poser sur la banquise. Avec la dérive qui est contraire à la progression de Jean-Louis Etienne, il ne sera pas facile de tenir ce délai.
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Un voyage sans fin sur une banquise de plus en plus fragile
Les jours passent et les températures remontent, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle, la banquise devenant de plus en plus fragile. Pour savoir si la glace est assez solide pour supporter son poids, Jean-Louis Etienne plante son bâton et écoute le son qu’il produit. Un ting aigu : ça passe. Un toc grave : mieux vaut être très prudent.
Un jour, alors que le Français s’apprête à terminer sa journée de marche, il se rend compte que la glace sur laquelle il se trouve est fragile. Le son produit par la percussion du bâton ne le rassure pas. Au moment où il s’apprête à revenir sur ses pas, la banquise cède. Sans réfléchir, Jean-Louis Etienne se couche sur la plaque qui se trouve devant lui et, par chance, la glace tient. Il s’en est fallu de peu, mais le médecin est vivant. Le bas de ses vêtements mouillés gèle immédiatement, mais au moins, il est vivant.
Le 9 mai, le pôle Nord est à une quarantaine de kilomètres. Mais la dérive est toujours contraire et la banquise fragile lui impose de faire plusieurs détours. Pour atteindre son objectif, Jean-Louis Etienne estime qu’il lui faut parcourir encore 80 kilomètres en six jours. Il réalise que le pôle Nord est en train de lui échapper.
Désormais, la marche devient une obsession. Il marche, marche, marche, même la nuit. Pas question d’échouer si près du but !
Le 11 mai 1986 à 2 heures du matin, exténué, Jean-Louis Etienne s’arrête, certain d’avoir atteint le pôle Nord, après plus de 1.000 km parcourus depuis le début de l’expédition et 63 jours de marche. Les larmes qui coulent le long de ses joues le brûlent. Il appelle le camp de base qui lui confirme que l’expédition est une réussite : « Tu as fait un score remarquable, 89 degrés et 993 millièmes, en plein dans le mille, tu nous as tous épatés. Tu es le premier Français au pôle Nord, le premier à l’atteindre en solitaire en tirant son traîneau, et tu es aussi le premier à y être localisé par satellite, c’est indiscutable. »
Récit : Antoine Aupart / Réalisation : Nicolas Vernizeau
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