La première expédition féminine dans l'Himalaya
9 janvier 2022
Cho Oyu depuis Ngozumpa Tse © Gozitano (CC BY-SA 4.0)
Dans ce nouveau numéro de notre série consacrée aux expéditions extraordinaires, nous vous racontons la première ascension exclusivement féminine dans l'Himalaya. Un récit à écouter ci-dessous. Retrouvez également, à la fin de l'histoire, une interview de Micheline Rambaud, l'une des membres de cette expédition.
L'approche du Cho Oyu
En 1959, six ans après la première ascension de l’Everest par Tensing Norgay et Edmund Hillary, Claude Kogan, une grande alpiniste française, dirige la première expédition exclusivement féminine dans l’Himalaya. Son but est de gravir le Cho Oyu, 8.201 mètres d’altitude, le sixième plus haut sommet de la planète, à la frontière entre le Népal et le Tibet. L’expédition est internationale. Elle réunit douze alpinistes. Parmi elles, on retrouve quatre Françaises, trois Britanniques, une Suissesse, une Belge et trois Népalaises, ces dernières étant les deux filles et la nièce de Tensing Norgay, devenu un héros national depuis sa conquête de l’Everest. L’une des Françaises s’appelle Micheline Rambaud. Elle est chargée de filmer l’expédition. Tout au long de son voyage, Micheline va prendre des notes pour décrire ses journées. Ces écrits, elle les ressortira, des décennies plus tard, pour en tirer un livre, Voyage sans retour (Éditions du Mont-Blanc, 2021). Un livre qui a inspiré ce récit.
C’est à la mi-août 1959 que les membres de l’expédition arrivent au Népal. 185 porteurs sont recrutés pour acheminer les cinq tonnes de matériel. Trois semaines de marche sont nécessaires pour atteindre le lieu où sera dressé le camp de base. Pendant ce voyage, les alpinistes font connaissance avec leurs sherpas et la nourriture locale. Le chang et l’arak – des alcools de riz et de maïs – accompagnent des pâtes fraiches, des boulettes de viande ainsi que des légumes variés. L’approche du Cho Oyu se fait dans des conditions météo difficiles, la mousson n’étant pas terminée.
© Micheline Rambaud
Un mauvais présage
Le 14 septembre, le groupe mené par Claude Kogan atteint le camp de base, dressé à 5.640 mètres d’altitude, au pied du sommet. Micheline Rambaud revient sur la première partie du voyage :
Rien n’était vraiment difficile techniquement pour arriver jusqu’ici. Il n’y a jamais eu de réel danger. […] La seule vraie difficulté était de tenir chaque jour. Résister à la chaleur, à la pluie, à la déshydratation, à la fatigue. Serrer les dents…*
Les jours suivants, des camps sont dressés à des altitudes de plus en plus élevées, entre 6.000 et 7.000 mètres. Mais alors que la fin du mois de septembre approche, la mousson tarde à se terminer. Des chutes de neige continuent de tomber. Plusieurs dizaines de centimètres de poudreuse s’accumulent. Et, malgré l’altitude élevée, il fait chaud… trop chaud.
Un jour, alors qu’il est souffrant, Da Norbu, l’un des sherpas, redescendu du camp 4 installé a plus de 7.000 mètres, a un mauvais pressentiment. Micheline Rambaud écrit :
Il est redescendu aussi parce qu’il a eu peur d’un « mauvais sort ». Les grottes sont taillées dans la glace, et dans leurs murs on creuse de petites niches qui permettent de poser de petits objets, tel un verre. Or, ce matin-là, un verre mis dans l’une de ces niches s’est renversé, ce qui, pour les sherpas, est un mauvais présage.*
Le drame
Le 2 octobre 1959, 30 centimètres de neige fraiche sont tombés au pied du Cho Oyu et il fait lourd. Plusieurs avalanches se déclenchent alors que quatorze personnes sont en altitude, réparties dans trois des quatre camps installés entre la base et le sommet. En début d’après-midi, les membres qui occupaient les camps 1 et 2 redescendent à la base. En revanche, on est sans nouvelles du camp 4 occupé par le sherpa Ang Norbu, Claude Kogan et Claudine van der Straten. Deux sherpas partent en direction du camp 4 pour tenter de les retrouver.
Au camp de base, on attend leur retour. Ce n’est qu’à la nuit tombée que Wangdi, l’un des deux Népalais parti secourir les alpinistes, rentre, méconnaissable, le visage gonflé, quasiment inconscient. Il raconte qu’une avalanche les a emportés et que Chouang, son compagnon, ne s’en est pas sorti.
Le matin du 5 octobre, alors que l’on est toujours sans nouvelles des trois disparus, des membres de l’expédition grimpent sur un sommet d’où l’on peut voir le camp 4. L’espoir de retrouver ses occupants vivants s’envole alors. Le camp n’existe plus, balayé, lui aussi, par une avalanche.
Face au risque de perdre d’autres de leurs amis, les alpinistes renoncent au sommet. Le camp de base est démonté le 19 octobre. Micheline Rambaud se souvient de son départ :
A l’est, le Cho Oyu éclate de blancheur. Depuis des mois, il est notre pensée, notre but… Il fait partie de notre vie. Dans sa carapace de glace il est altier, écrasant, nous méprisant peut-être. Et pourtant nous avons joué franc-jeu. Avec nos moyens. Et lui s’est défendu avec les siens.*
Les corps des quatre disparus reposent toujours dans l’Himalaya.
Récit : Antoine Aupart / Réalisation : Nicolas Vernizeau
* Toutes les citations de ce récit sont issues du livre de Micheline Rambaud, Voyage sans retour (Éditions du Mont-Blanc, 2021).
© Micheline Rambaud
© Micheline Rambaud