La conquête du premier 8.000

Annapurna

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Dans notre série consacrée aux expéditions extraordinaires, nous nous intéressons à l’histoire de la première ascension de l’Annapurna. Ecoutez ci-dessous le récit de cet exploit réalisé par des Français.

Paragraphes

Les préparatifs

Au printemps 1950, l’alpiniste français Maurice Herzog prend les rênes d’une expédition dont le but est d’atteindre, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’un des quatorze sommets de la planète culminant à une altitude supérieure à 8.000 m. Pour cela, direction l’Himalaya et le Népal, rejoint le 5 avril. Après deux semaines de marche, et après avoir recruté des porteurs et des sherpas, l’expédition atteint Tukucha et y installe son quartier général. Depuis le village, deux sommets dépassant 8.000 m sont accessibles. L’objectif premier de l’expédition de Maurice Herzog est de conquérir le Dhaulagiri et ses 8.167 m. Mais après plusieurs jours de reconnaissance, le sommet semble imprenable. L’expédition décide donc d’explorer un autre géant : l’Annapurna, 8.078 m d’altitude. La reconnaissance débute le 26 avril et le 14 mai, Herzog décide de concentrer ses efforts sur ce dernier.

L'ascension

L’ascension se fait par la face nord. Le camp de base est dressé, puis le camp 1, à plus de 5.000 m d’altitude. Le 22 mai, Herzog décide d’accélérer l’ascension. Il faut faire vite : les services météorologiques népalais annoncent l’arrivée prochaine de la mousson. Les camps 2, 3 et 4 sont dressés petit à petit et le 2 juin, le cinquième et dernier camp est installé, perché à 7.500 m.

Pour l’ascension finale qui aura lieu le lendemain, Maurice Herzog décide d’être épaulé par Louis Lachenal. Les deux hommes passent une nuit épouvantable. Ils quittent leur tente le 3 juin 1950 à 6 h. Il fait beau, mais la température est glaciale, entre -50 et -60 °C. La progression dans la neige est extrêmement difficile. Chaque pas demande un effort considérable. Les membres des deux alpinistes commencent à geler. Louis Lachenal a horriblement mal aux pieds. Conscient qu’il risque de les perdre s’il ne fait pas demi-tour, il demande à Herzog ce qu’il ferait s’il rebroussait chemin. Le chef de l’expédition qui commence à ne plus avoir toute sa lucidité, lui répond qu’il ira jusqu’au bout, quoiqu’il arrive. Ne voulant pas laisser Maurice Herzog seul, Louis Lachenal décide de poursuivre l’ascension, et à 14 h, les deux Français deviennent les premiers hommes à conquérir un sommet culminant à plus de 8.000 m d’altitude.

Retour vers le camp de base

Herzog savoure sa victoire, se fait prendre en photo et prend son temps. Lachenal, quant à lui, n’en peut plus. Ses pieds sont complétement gelés. Il presse son compagnon, qui ne prend pas conscience du danger, du froid et de la météo, et qui est en train de geler lui aussi, sans s’en rendre compte. Il faut rentrer en vitesse, d’autant que le temps est en train de se couvrir. Après une heure passée sur le sommet, Herzog se décide enfin à rentrer. En voulant vérifier son sac, l’alpiniste perd ses gants. Il continuera donc les mains nues…

Les deux héros parviennent tant bien que mal à rejoindre le camp 5, où les attendent deux autres alpinistes, montés dans la journée. C’est là qu’ils prennent conscience de leurs blessures. Leurs membres, durs comme du bois, sont complètement gelés. Ils passent la nuit au camp 5 et repartent le lendemain, direction le camp 4. Problème : le temps est toujours aussi mauvais. La brume ne permet pas aux quatre alpinistes de retrouver leur refuge. Perdus pendant toute la journée du 4 juin, les hommes s’abritent dans une crevasse pour y passer la nuit.

Le matin du 5 juin, une avalanche se déclenche, surprenant l’équipe. Les alpinistes parviennent néanmoins à sortir de la crevasse. Plus loin, Herzog et Lachenal sont pris en charge par deux sherpas. Mais dans la journée, le chef de l’expédition et les deux sherpas se font ensevelir par une nouvelle avalanche. Tous s’en sortent miraculeusement et réussissent à rejoindre le camp 2.

Les deux blessés sont ensuite transportés sur des traineaux, des brancards ou sur les épaules des sherpas, pendant des jours et des jours. Leur retour est interminable. Les premiers soins sont effectués. Herzog frôle la mort et vainc une grosse fièvre. Il est amputé de tous ses doigts et de la moitié de ses pieds. Il faudra en faire de même pour les pieds de Louis Lachenal.

Expédition Annapurna 1950

M. Ichac

Louis Lachenal, Jacques Oudot, Gaston Rébuffat, Maurice Herzog et Marcel Schatz (de g. à d.) la veille de l'ascension finale.

Personnage controversé, Maurice Herzog a par la suite fait carrière en politique. Son livre Annapurna, premier 8000, relatant son exploit, s’est vendu à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde. Il est mort en 2012, à 93 ans.

Louis Lachenal a été éclipsé de la mémoire collective par Herzog. Il est mort en 1955 à Chamonix, 5 ans après la conquête de l’Annapurna, en tombant dans une crevasse au cours d’une descente à ski. Son livre posthume Carnets du vertige contredit certains faits décrits dans l’ouvrage de Maurice Herzog.

Avec un taux de mortalité supérieur à 30 %, l’Annapurna est parfois qualifié de sommet le plus meurtrier du monde.

Récit : Antoine Aupart / Réalisation : Stéphane Schmidt