La traversée du septième continent de Ben Lecomte
22 avril 2023
© Martina / Adobe Stock
Notre série consacrée aux expéditions extraordinaires s'intéresse à l’histoire d’un nageur français, qui a tenté de parcourir, à la nage, le plus grand océan du monde, dans le but de traverser le "septième continent".
L’objet de ce récit est la traversée d’un continent que l’on aurait aimé ne jamais voir apparaitre : le septième continent, autrement dit l’immense vortex de déchets — en plastique pour la plupart — situés dans le Pacifique nord et trois fois plus grand que la France.
En 1998, le Français Ben Lecomte devient le premier homme à traverser l’océan Atlantique à la nage et sans planche. Le but de cette aventure de 73 jours et de près de 6.000 km est de récolter des fonds pour la recherche contre le cancer, qui a emporté son père.
En 2018, c’est à un autre fléau que Ben veut s’attaquer : les déchets en plastique qui polluent les océans. Ce récit est tiré de son livre Nageur d’alerte, paru aux éditions Glénat. À 51 ans, le nageur part du Japon, direction les États-Unis, pour une traversée du Pacifique à la nage. L’expédition doit durer au moins six mois, et parcourir plus de 10.000 km en passant, bien sûr, par le vortex de plastique. Le but est de sensibiliser, mais aussi de collecter de nombreuses données scientifiques, dont des microplastiques pour les analyser. Un voilier le suivra, pendant toute la durée du voyage. Un voyage qui ne va pas se passer comme prévu.
Une aventure très difficile
Ben Lecomte nage tous les jours pendant huit heures. Il fait des pauses dans l’eau toutes les heures pour se ravitailler, par exemple, avec de la soupe ou du pain. Tous les matins, les membres du I am Ocean — c’est le nom du bateau suiveur — le ramènent là où il s’était arrêté la veille. L’équipe suit la direction des courants pour être portée le plus longtemps possible, quitte à allonger le parcours.
Pour Ben, le plus dur n’est pas forcément le physique, mais le mental. Pour supporter les douleurs et la répétition de ses efforts, le Français doit entrer dans un état de méditation pour que les heures deviennent des minutes, et les minutes des secondes.
Au milieu de l’océan, les dangers sont nombreux. Le I am Ocean ne doit jamais perdre de vue le nageur. C’est, en effet, sur le voilier que Ben passe ses nuits et qu’il se réfugie en cas de pépins. Un jour, alors qu’une ligne de nage est attachée à l’arrière du bateau pour guider le Français, celle-ci se détache après une rafale de vent. Le bateau s’éloigne, laissant derrière lui Ben Lecomte seul au milieu du Pacifique, qui devient alors difficilement repérable dans une mer agitée. Les membres d’équipage finissent par le retrouver. Il décide alors de suivre un pneumatique, beaucoup plus maniable.
Mais lors d’une autre journée pendant laquelle les conditions ne sont pas optimales, le pneumatique peine à rester proche du nageur. Alors qu’il s’en éloigne, le pilote fait marche arrière. Au même moment, une vague propulse Ben Lecomte en direction de l’hélice du petit bateau, qui percute le visage du Français. Son tuba frontal et ses lunettes de natation lui sauvent la vie.
Parmi les autres dangers de l’océan, il y a évidemment la faune marine. Ce que redoute le plus le nageur, ce ne sont pas les requins — et il en croise de temps en temps. Ce dont il a peur, ce sont des espadons, ces poissons rapides, puissants et dotés d’un long bec qui peut vous transpercer en une fraction de seconde. Il en rencontre un, un jour, de plus de trois mètres de long qui lui tourne autour, pour finalement s’éloigner.
Abandonner l'expédition, pour en commencer une autre
Cette année 2018 est marquée par une saison des typhons particulièrement dangereuse. Le I am Ocean n’y résiste pas et contraint les membres de l’expédition à abandonner la traversée du Pacifique, après six mois en mer, et plus de 2.700 km parcourus. L’équipe décide alors de se concentrer sur la traversée du vortex de plastique dans le Pacifique nord. En 2019, elle repart depuis l’ile d’Hawaï en direction de San Francisco. Ben Lecomte écrit : « Dans les parties les plus concentrées en plastique, c’était comme regarder vers le ciel pendant une tempête de neige la nuit. Les flocons étaient les millions de particules de plastique qui remplissaient mon champ de vision et se détachaient sur le fond bleu foncé qui s’ouvrait sans fin sous moi. » 80 jours après son départ d’Hawaï, Ben atteint San Francisco.
En tout, l’équipage du I am Ocean récupère plus de 43.000 morceaux de microplastique, d’une taille inférieure à 5 mm, ingérés très fréquemment par la faune marine. Il pêche également plus de 3.800 morceaux de macroplastique, dont une grande quantité de matériel de pêche.
D’après National Geographic, 5.000 milliards de morceaux de plastique flottent dans nos océans. D’ici 2050, toutes les espèces d’oiseaux marins en absorberont régulièrement. Aujourd’hui, seuls 9 % de nos déchets en plastique sont recyclés.
Récit : Antoine Aupart / Réalisation : Louis Lapérou