Le rapport des jeunes à la conduite

Une jeune femme au volant

©AdobeStock/Marco

La moitié des conducteurs impliqués dans des accidents corporels sont des moins de 30 ans, quel que soit le type de véhicule. Ils seraient les plus enclins à adopter des comportements à risque et sans considération pour la sécurité routière... Entre mythe et réalité, quel est le rapport des 18-25 ans à la route ? Pour le savoir, nous nous sommes d'abord intéressés au bilan provisoire de l'accidentologie de 2022. 

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Le rapport des jeunes à la conduite
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L'accidentologie en fonction de l'âge et du genre en 2022.

Selon l’ONISR et le bilan provisoire de l'accidentologie, les 18-25 ans sont toujours les plus touchés par les accidents corporels et les accidents mortels. Ainsi, on compte autant de jeunes décédés qu’en 2019 (année de référence avant Covid), soit environ 550 morts.
Concernant le nombre de blessés graves, il diminue pour cette tranche d’âge comparé à 2019 mais reste le plus élevé : ils seraient 2700 à s’être gravement blessés l’année passée, soit 502 blessés pour 1 million d’habitants.
Aux facteurs pris en compte dans l'établissement de ce bilan, il faut ajouter le genre : le nombre de femmes tuées sur les routes diminue alors que la part des hommes dans la mortalité routière se renforce avec 78% (contre 77 % en 2019).
Afin de mieux comprendre ces chiffres, nous sommes allés rencontrer des jeunes conducteurs de 18 à 25 ans. Premier constat, les hommes semblent être les plus à même à avoir des comportements à risque alors que les femmes prennent plus de précautions.

La sociologie, les jeunes et la conduite.

Afin de vérifier nos hypothèses, nous avons rencontré David Le Breton, sociologue et professeur à l'Université de Strasbourg. En 2022, Il publie l'ouvrage " Les jeunes aux volants", aux éditions Eres, avec l'aide de trois autres chercheurs. Il s'agit d'une enquête sociologique menée auprès de 150 jeunes entre 18 et 24 ans, comportant autant d'hommes que de femmes.
Pour comprendre le rapport des jeunes à la conduite, il faut d'abord s'intéresser à la construction de ces derniers, notamment lors de l'apprentissage. Selon le chercheur, la plupart des interrogés comparent la conduite de leurs proches, celle du père avec celle de la mère, ou celles de leurs amis par exemple. Ils mettent également en avant l'influence des moniteurs d'auto-école dans l'apprentissage. Ainsi la manière dont un jeune conduit résulte d'un bricolage entre tout ce qu'il a pu voir autour de lui, mais aussi de son caractère. Des frères et des soeurs ayant subis les même influences n'auront ainsi pas la même manière d'appréhender la route.

Après l’apprentissage vient le permis de conduire. Selon David Le Breton, il est perçu comme une sorte de “rite de passage à l’âge adulte”. En effet, ce dernier donne l'accès à une certaine autonomie très valorisée dans nos sociétés contemporaines occidentales. D'ailleurs, le chercheur le compare à une sorte de "brevet de citoyenneté".

Une fois le permis en poche, il est temps d'acheter sa première voiture. Un élément également très important dans la vie du jeune puisqu'il s'agit en général de l'achat réalisé avec son premier salaire ou d'un grand cadeau. Un accès à l'indépendance donc, permettant aux nouveaux propriétaires de profiter d'une plus grande liberté et donc de ne plus être dépendant des autres.
 

Le genre, pierre angulaire du rapport à la conduite.

En sociologie, il est admis que le genre influence notre construction sociale. Il influence alors notre perception, nos habitudes et nos goûts entre autres. Cela vaut également pour le rapport des jeunes hommes et des jeunes femmes à la conduite. Ainsi, les hommes seraient bel et bien les plus enclins à adopter des comportements à risques. Cela est dû aux phénomènes de virilisation qui caractérisent les garçons, notamment à l'adolescence : la volonté de montrer qu'ils sont "les plus rapides, les plus forts, en bref qu'ils sont de vrais hommes." souligne le chercheur.

Pour décrire le rapport des filles à la route, David Le Breton évoque "L'Ethique du care" de Carol Gilligan : un ouvrage sociologique décrivant, entre autres, l'idée que les femmes ont une autre manière de penser la morale que les hommes. Les femmes ont conscience de n'être "qu'une parmi les autres conducteurs" et que si elles savent conduire et font attention, ce n'est pas forcément le cas de tout le monde. Globalement, elles ont alors une conduite plus responsable et prennent plus de précautions. 

La virilisation caractéristique des hommes touche aussi leur rapport à leur véhicule. Ils préfèrent les véhicules "plus gros, plus long et plus rapide" indique le sociologue. Les femmes quant à elles préfèrent les véhicules plus petits et pratiques, comme plus faciles à garer. Elles sont alors "moins soumises à une sorte de volonté de démonstration." De plus, elles perçoivent leurs voitures comme une "chambre à soi" : un espace à elles où elles peuvent se retrouver et où elles sont libres de penser et de réfléchir, notamment lorsqu'elles font face à des problèmes. 

David Le Breton rappelle tout de même qu'il faut nuancer cette analyse et qu'il ne faut pas généraliser un comportement en fonction d'un genre. D'ailleurs, beaucoup des personnes sondées perçoivent simplement leur véhicule comme un outil. 

Jeune au volant, danger au tournant ? 

Les 18-24 sont les plus concernés par les accidents et la mortalité sur les routes. Ils seraient donc les plus concernés par l'insécurité routière. Selon l'enquête, ils ont tendance à prendre des risques tout en ayant conscience de leur responsabilité de conducteur. David Le Breton indique que, pour eux, le "code de la route est une moyenne, une généralité qui ne peut pas s'appliquer à eux." Ils se considèreraient alors comme au-dessus du lot et auraient plus de comportements à risques, avec la croyance qu'ils contrôlent la situation. Encore une fois, le sociologue nuance son analyse : globalement, ils ont quand même conscience de leur responsabilité et remettent en question leur respect du code de la route dés qu'ils sont victimes de leur premier accident. 

Mais alors, comment faire prendre encore plus conscience aux jeunes du risque qu’ils peuvent représenter ? Pour le sociologue, cela passe par la prévention routière, même si ils ont un rapport ambivalent avec cette dernière. Selon les réponses qu'il a obtenu, les sondés rejettent souvent la faute sur les autres : "ce sont les autres qui ne savent pas conduire ou utiliser leur téléphone au volant." s'indigne-t-il. Néanmoins, il pense qu'il faut continuer la prévention puisque "cela permet sûrement à un certain nombre de jeunes d'être plus attentifs". 

Depuis leur instauration, les campagnes de prévention ont utilisés différents tons pour sensibiliser les jeunes. Cette année, elle cible surtout les hommes, en cherchant à déconstruire la virilité et donc à réduire les prises de risques.