L'expédition Mikkelsen : seuls dans le Grand Nord
13 septembre 2022
© ihorbondarenko / Adobe Stock
Notre série consacrée aux expéditions extraordinaires nous emmène tout de suite dans le Grand Nord. Direction le Groenland avec ce récit d'Antoine Aupart, à écouter ci-dessous.
L'échec de l'expédition Danmark
Au début du 20e siècle, le royaume du Danemark veut contrer les affirmations de l’explorateur américain Robert Peary, qui prétend que le Groenland, alors colonie danoise, est divisé en deux territoires distincts. Pour cela, il envoie, à l’été 1906, une expédition menée par Ludvig Mylius-Erichsen, qui doit notamment cartographier la côte nord-est du Groenland et ainsi prouver que Peary se trompe. Mais le Grand Nord et ses conditions extrêmes sont impitoyables. Erichsen et ses hommes ne rentreront jamais de leur voyage.
Trois ans plus tard, à l’été 1909, une seconde expédition est organisée pour tenter de retrouver la précédente. Le but est de terminer les recherches menées par Erichsen et de récupérer ses précieuses notes. Ejnar Mikkelsen et ses hommes embarquent à bord d’un voilier baptisé l’Alabama. Le 25 août, ils atteignent le large de l’île de Shannon, où ils se font emprisonner par les glaces. Impossible d’aller plus loin alors qu’ils se trouvent à 150 km de leur objectif : la base de l’expédition Danmark, celle d’Erichsen, débutée trois ans auparavant. Un premier voyage est alors organisé par Mikkelsen à bord de traineaux à chien, mais il ne permet pas de retrouver les carnets de voyage de son prédécesseur. Il est de retour en décembre 1909 à bord de l’Alabama pour y passer un premier hiver.
Course contre la montre
Le 4 mars 1910, un second voyage sur les traces de l’expédition Danmark est lancé. Cinq hommes partent sur les pas d’Erichsen, toujours aidés par les chiens. Au bout d’un moment, le groupe doit se séparer. Trois aventuriers font demi-tour, tandis que Mikkelsen poursuit en compagnie d’Iver Iversen, un mécanicien, qui est le seul à se porter volontaire pour la suite du voyage. Il faut dire que l’expédition a déjà accumulé beaucoup de retard et que les chances de retrouver les notes d’Erichsen et de retourner au bateau dans les temps sont minces. Il faut en effet regagner l’Alabama avant qu’il ne soit à nouveau prisonnier des glaces, c’est-à-dire avant le 15 août.
Le 22 mai, les deux hommes découvrent un cairn, un amas de pierres qui permet de marquer un emplacement particulier. Ils y trouvent une lettre laissée par Erichsen. Ils remontent ainsi la piste de la précédente expédition et découvrent l’emplacement où elle a passé l’été 1907. Mikkelsen et Iversen mettent la main sur un rapport qui résume le parcours effectué par Erichsen et ses hommes. Un document qui permet également de prouver que Peary s’est trompé : le Groenland ne forme bel et bien qu’une seule et même île.
Il faut maintenant rentrer. Les deux aventuriers n’ont devant eux plus que deux mois et demi pour rejoindre l’Alabama, alors qu’il leur faut parcourir 900 km. Mikkelsen et Iversen progressent très difficilement. Ils sont ralentis par des tempêtes, doivent rationner l’eau, la nourriture ; les chiens, épuisés, s’éteignent les uns après les autres. Heureusement, avec les notes laissées par Erichsen, ils peuvent se ravitailler en chemin, grâce à des dépôts de vivres laissés par l’expédition Danmark.
En octobre 1910, tous les chiens sont morts, les deux hommes ont dû laisser derrière eux leur traineau pour n’emporter que le strict minimum. Leurs précieux journaux de bord sont eux aussi laissés sur le bord de la route. Mais pour eux, peu importe, l’important est de survivre en rejoignant leurs amis qui, ils en sont persuadés, les attendent sur leur voilier. À leur retour sur l’île de Shannon, la déception est immense. L’Alabama a été broyé par la glace, et les autres membres de l’expédition sont partis à bord d’un baleinier, avant d’être à nouveau prisonniers de la banquise.
Seuls dans l'Arctique
Avant de partir, une cabane a été construite, grâce au bois de l’Alabama. Des vivres ont également été laissés, ce qui permet à Mikkelsen et Iversen de passer un nouvel hiver.
Au printemps, le chef de l’expédition décide d’aller récupérer ses notes laissées en cours de route. Sans chien, trois nouvelles semaines de marche sont nécessaires pour atteindre le dépôt qui a été attaqué par un ours. Ils n’y retrouvent que le journal d’Iversen puis retournent dans leur cabane.
L’attente est interminable. Aucun bateau ne vient à leur secours. Il faut dire que l’été 1911 n’est pas clément et que la glace empêche toute embarcation d’approcher de l’île de Shannon. À la fin du mois de novembre, pour augmenter leurs chances d’être secourus l’été suivant et être moins dépendants du retrait de la banquise, les deux hommes décident de quitter leur refuge, pour prendre la direction de l’île de Bass Rock, 50 km plus au sud. Ils y découvrent un message daté du 11 juillet 1911 et apprennent alors qu’un navire était venu à leur rencontre, mais que, bloqué par les glaces, il n’a pas pu aller plus loin. Mikkelsen enrage. Il s’en veut de ne pas avoir eu l’idée de rejoindre cette île plus tôt. Lui et Iversen doivent donc passer un troisième hiver dans le Grand Nord.
Les mois passent, le printemps arrive et la fonte de la banquise les rend prisonniers de leur île de Bass Rock. Un jour, le miracle se produit ! Alors que Mikkelsen et Iversen n’ont pas vu d’humains depuis deux ans et demi et que tout le monde les croyait morts, des chasseurs de phoques tombent par hasard sur les naufragés, qui embarquent à bord de leur bateau, pour un retour au Danemark, près de trois ans après le départ de l’Alabama.
Récit : Antoine Aupart / Réalisation : Anaël Ferrand
Pour en savoir plus :
Perdus dans l'Arctique, (récit de l'expédition de l'Alabama, 1909-1912), ouvrage de Ejnar Mikkelsen, traduction de Charles Laroche.
Un film récent s'est également inspiré de l'expédition d'Ejnar Mikkelsen : Perdus dans l'Arctique (Against the Ice) réalisé par Peter Flinth.