Nanga Parbat : le cauchemar d'Elisabeth Revol

Nanga Parbat

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Notre série consacrée aux expéditions extraordinaires nous emmène à nouveau dans l'Himalaya. Antoine Aupart nous raconte l'incroyable sauvetage de la Française Elisabeth Revol, naufragée sur le Nanga Parbat, 8.125 mètres d'altitude, surnommée la "montagne tueuse".

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Nanga Parbat : le cauchemar d'Elisabeth Revol
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L'exploit avant le cauchemar

Le 25 janvier 2018, la Française Elisabeth Revol et le Polonais Tomasz Mackiewicz, dit « Tomek », tentent, pour la troisième fois, d’atteindre ensemble ce sommet situé au Pakistan. Ils adoptent un style alpin épuré. Autrement dit, ils grimpent sans cordes fixes, sans porteurs et sans oxygène. Ils n’y étaient pas parvenus en 2015 ni en 2016 à cause de la météo et du froid extrême. Mais cette année est la bonne, malgré l’hiver glacial. Elisabeth et Tomek ont accumulé un peu de retard et l’arrivée au sommet se fait de nuit. Aux alentours de 18h00, la Française, qui est en tête, devient la première femme à atteindre le sommet du Nanga Parbat en hiver. Un véritable exploit, qu’elle n’a pas le temps de savourer.

Quelques minutes plus tard, Tomek la rejoint. Mais quelque chose ne va pas. Le Polonais ne voit quasiment plus rien. Elisabeth Revol prend immédiatement conscience que cette expédition vient de prendre une tout autre tournure, qui a peu de chance de bien se terminer.

Dans la nuit et le froid extrême, elle est maintenant les yeux de Tomek. Il faut descendre, et vite. Elisabeth a du mal à se repérer, dans le froid inhumain et entourée de vide. L’état général de Tomek se dégrade rapidement. Du sang sort de sa bouche et ses mains, complètement gelées, sont perdues. À 7.522 m d’altitude, grâce à son traceur GPS, la Française lance un appel à l’aide pour que des secours leur soient envoyés. Mais ils doivent descendre. À cette altitude, aucun hélicoptère ne peut venir les chercher. Alors Elisabeth aide Tomek à descendre un peu. Plus bas, ils s’abritent dans une crevasse pour y passer la nuit.

L'attente interminable des secours

Dans le même temps, les secours s’organisent. Ils demandent à Elisabeth de descendre le plus bas possible pour qu’un hélicoptère puisse leur venir en aide. Mais Tomek ne peut plus avancer et son état de santé continue de s’aggraver.

Ce 26 janvier 2018, il fait beau. Mais les hélicos ne viennent pas. Elisabeth Revol ignore que ce sauvetage est très compliqué et coûteux. Les seuls appareils capables de voler dans l’Himalaya sont ceux de l’armée pakistanaise, qui ne peuvent de toute manière pas atteindre des altitudes très élevées.

Dans le même temps, à 450 km de là, sur le K2, des alpinistes très chevronnés apprennent qu’un drame est en train de se jouer sur le Nanga Parbat. Ils décident de mettre entre parenthèses leur expédition pour voler au secours d’Elisabeth et de Tomek.

Sur le Nanga Parbat, l’attente des secours est interminable. Elisabeth exténuée, qui n’a pas conscience de la complexité des opérations, décide, la mort dans l’âme, de laisser Tomek derrière elle, pour descendre. Alors que la lumière du jour baisse, elle apprend que les hélicos ne viendront pas aujourd’hui et qu’elle doit passer une nouvelle nuit en très haute altitude, sans matériel et sans tente, dans un froid polaire et un vent qui glace les os. C’est dans une nouvelle crevasse qu’elle s’abrite en attendant l’aube.

Des légendes de l'himalayisme au secours d'Elisabeth Revol

Le lendemain, lorsqu’elle se réveille, une de ses chaussures est tombée. Ses orteils ont gelé, mais elle parvient tout de même à la retrouver, un peu plus bas dans la crevasse.

Elle passe une nouvelle longue journée à attendre les secours qui ne viennent pas. Aux alentours de 17h00, elle apprend que les hélicos ne la récupèreront pas aujourd’hui et qu’elle va devoir passer une nouvelle nuit sur le Nanga Parbat. Revol, affamée et assoiffée, décide de ne plus suivre les instructions qu’on lui donne et de poursuivre sa descente, via une voie extrêmement dangereuse. Son but est de s’en sortir seule et de rejoindre le camp de base par ses propres moyens, avec un pied complètement gelé et sans matériel adapté, pour ensuite organiser les secours afin de sauver Tomek.

Pendant ce temps-là, deux des alpinistes du K2 ont été héliportés sur le Nanga Parbat. Adam Bielecki et Denis Urubko, des légendes de l’himalayisme, réalisent des miracles. Les hélicos ne pouvant pas monter à la hauteur d’Elisabeth, ils doivent gravir la distance qui les sépare d’elle à la force de leur piolet, alors qu’une tempête arrive. Ils grimpent 1.000 mètres en huit heures, dans la nuit, le vent et le brouillard, alors qu’il faut habituellement plusieurs jours.

Soudain, au beau milieu de la nuit, les deux hommes tombent sur Elisabeth. Ils s’occupent d’elle et la soignent. C’est la fin de son calvaire. Tous trois redescendent le lendemain. La Française est évacuée par hélicoptère.

Les secours ne peuvent en revanche rien faire pour Tomek, nouvelle victime de la « montagne tueuse ».

Texte : Antoine Aupart / Réalisation : Louis Lapérou